Hier, une manifestation contre le projet minier de Base Toliara, dans le sud-ouest de Madagascar, a dégénéré en affrontements violents entre les manifestants et les forces de l'ordre. Le bilan provisoire est lourd : trois personnes ont perdu la vie et cinq autres ont été blessées, dont certaines grièvement. Ce drame ravive les tensions autour d’un projet minier controversé, accusé par ses opposants de menacer l’environnement et de déposséder les communautés locales de leurs terres.
Un projet minier au cœur de la discorde
Le projet Base Toliara, porté par une entreprise minière australienne, est en gestation depuis plusieurs années. Il vise à exploiter des gisements d’ilménite, un minerai de titane, dans la région de Toliara, plus précisément sur les communes rurales de Ranobe, dans le district de Toliara II. Depuis l’annonce de sa mise en œuvre, ce projet suscite des réactions vives au sein des communautés locales.
Les détracteurs du projet dénoncent notamment l’absence de consentement libre, préalable et éclairé des populations concernées, une exigence pourtant inscrite dans les principes internationaux de respect des droits des peuples autochtones. De nombreuses voix s’élèvent aussi contre les conséquences écologiques d’une telle exploitation minière : déforestation, assèchement des nappes phréatiques, destruction de la biodiversité locale, et pollution des sols.
En face, les promoteurs du projet mettent en avant les retombées économiques potentielles : création d’emplois, développement des infrastructures, augmentation des recettes fiscales pour l’État malgache. Des promesses qui peinent toutefois à convaincre les populations locales, dont la méfiance a été renforcée par l’historique d’autres projets similaires dans le pays.
Une mobilisation populaire de plus en plus forte
Depuis plusieurs mois, des mouvements citoyens et des collectifs locaux ont organisé diverses actions de protestation : marches pacifiques, pétitions, sit-in devant les locaux de la société Base Toliara, et interpellations publiques des autorités. Ces initiatives, bien que pacifiques au départ, ont progressivement été réprimées par les forces de l’ordre.
La manifestation d’hier, qui s’est déroulée dans les environs de Tsianisiha, à une vingtaine de kilomètres au nord de Toliara, a été l’aboutissement de plusieurs semaines de tension croissante. Les manifestants, plusieurs centaines selon les témoignages recueillis, scandaient des slogans hostiles au projet et réclamaient son arrêt pur et simple. Ils portaient des banderoles affirmant leur attachement à leurs terres ancestrales et leur droit à un environnement sain.
Selon plusieurs témoins, la manifestation avait commencé dans le calme, avant que la situation ne dégénère brutalement. Les forces de l’ordre, déployées en nombre, auraient tenté de disperser les manifestants à l’aide de gaz lacrymogènes. Des affrontements s’en sont suivis, certains manifestants lançant des projectiles, d’autres érigeant des barricades de fortune. La tension est montée d’un cran lorsque des tirs ont été entendus, provoquant la panique et la dispersion de la foule.
Un bilan humain dramatique
Le dernier bilan communiqué par les autorités locales fait état de trois morts, tous des manifestants, et de cinq blessés, dont deux parmi les forces de l’ordre. Les blessés ont été évacués vers l’hôpital régional de Toliara pour y recevoir les soins nécessaires. L'identité des victimes n’a pas encore été officiellement confirmée, mais selon les témoignages de proches, il s’agirait de jeunes hommes originaires des villages voisins, engagés dans la lutte contre le projet minier.
Des vidéos amateurs, largement partagées sur les réseaux sociaux, montrent des scènes de chaos : des manifestants courant dans tous les sens, des fumées de gaz lacrymogène, des cris, et des personnes allongées à terre. Ces images ont suscité une vive émotion dans tout le pays et au-delà, remettant en lumière la récurrence des violences lors des mouvements sociaux à Madagascar.
Les autorités ont annoncé l’ouverture d’une enquête pour faire la lumière sur les circonstances précises du drame. Le ministère de la Sécurité publique a toutefois défendu l’intervention des forces de l’ordre, évoquant une situation devenue incontrôlable et la nécessité de « protéger les installations publiques et privées ».
Réactions et condamnations
À la suite de ces événements tragiques, plusieurs organisations de la société civile malgache ont exprimé leur indignation. Elles dénoncent une répression brutale et injustifiée contre une population qui ne faisait qu’exercer son droit fondamental à manifester. « Ce bain de sang était évitable », a déclaré un porte-parole du collectif Tany, engagé depuis plusieurs années dans la défense des droits fonciers des communautés rurales.
Des ONG internationales de défense des droits humains ont également réagi. Amnesty International a demandé une enquête indépendante et impartiale, tandis que Human Rights Watch a rappelé l’importance du respect des droits fondamentaux dans le cadre des projets de développement.
Sur le plan politique, les réactions sont plus mesurées. Le gouvernement a exprimé sa « profonde tristesse » face aux pertes en vies humaines, tout en appelant à la responsabilité de tous les acteurs. Le président de la République n’a pas encore fait de déclaration officielle, mais des sources proches du palais évoquent la possibilité d’un discours dans les prochains jours.
Du côté de l’opposition, plusieurs voix critiquent la gestion de la situation par l’exécutif, accusé de privilégier les intérêts étrangers au détriment des citoyens malgaches. Des élus de la région de Toliara ont également demandé la suspension immédiate du projet Base Toliara, en attendant les résultats de l’enquête.
Quelle issue pour le projet Base Toliara ?
Ce nouvel épisode tragique soulève une fois de plus la question de la légitimité et de la viabilité des grands projets extractifs à Madagascar. Le pays, riche en ressources naturelles, est régulièrement la cible d’investissements miniers d’envergure. Mais ces projets, loin de profiter toujours aux populations locales, sont souvent sources de conflits, de déplacements forcés, et de dégradations environnementales.
Le cas de Base Toliara illustre ces contradictions. Depuis 2019, le projet est officiellement suspendu par décision gouvernementale, mais les signes de reprise se sont multipliés ces derniers mois, alimentant la colère des riverains. Le manque de transparence dans les négociations, l'absence de consultation effective des communautés, et le silence prolongé des autorités ont contribué à attiser les tensions.
Pour de nombreux observateurs, une sortie de crise ne pourra passer que par un dialogue sincère entre toutes les parties prenantes : autorités publiques, entreprise minière, représentants des communautés locales, et société civile. Ce dialogue devra être fondé sur le respect des droits humains, la protection de l’environnement, et une véritable évaluation des impacts sociaux et économiques du projet.
Il est également urgent de repenser le modèle de développement du pays, afin de ne pas sacrifier les intérêts des populations rurales sur l’autel de la croissance économique. Car au-delà du projet Base Toliara, c’est bien la question de la justice sociale, de la souveraineté foncière et de la gouvernance environnementale qui se pose à Madagascar.